Témoignages

   
       

Jean-Marie Volet

Professeur honoraire à l'Université de Western Australia Perth et responsable du site internet "Lire les femmes et les littératures africaines".
http://aflit.arts.uwa.edu.au/


L
es pièces de Madame Marie Charlotte Mbarga sont solidement ancrées dans un milieu africain « ordinaire », pourrait-on dire ; elles mettent en scène des personnages très différents mais solidement attachés à leur milieu. Elles évoquent par contre souvent des sujets sensibles et des thèmes controversés qui méritent d’être discutés. Il faut aussi ajouter qu’en offrant le point de vue d’une femme, les premières de ces pièces ont ouvert la voie à la littérature africaine écrite au féminin. A ce titre Mme Mbarga et son œuvre occupent une place très importante dans la littérature du continent.

Si ses textes sont importants pour des raisons littéraires, les circonstances dans lesquelles je les ai découverts leur confèrent un intérêt particulier dont je voudrais témoigner en relatant deux souvenirs qui me viennent à l’esprit. L’un remonte à 1996. J’étais à Yaoundé pour y chercher des romans et je venais de découvrir « Les Insatiables » grâce au regretté David Ndachi Tagne qui m’avait obligeamment offert son exemplaire de la pièce. Je ne m’étais pas imaginé qu’il puisse exister des pièces de théâtre écrites par des Camerounaises et le plaisir de découvrir cet ouvrage avait été d’autant plus vif que le texte que j’avais entre les mains était super intéressant, un de ces textes qui ont le pouvoir d’évoquer un univers foisonnant et entraînent le lecteur hors des sentiers battus…

Je n’ai qu’un souvenir imprécis de la rencontre avec Mme Mbarga qui suivit, quelques jours plus tard, dans les bureaux du CRAC, mais je me souviens par contre parfaitement de ma surprise en apprenant qu’elle avait écrit bien d’autres pièces. Ma seconde impression – qui rappelle d’ailleurs la première – est beaucoup plus récente et date de l’an dernier, peu après la disparition de Madame Mbarga. Sa fille m’ayant aimablement fait parvenir la pièce « Un enfant » je retrouvais avec ravissement l’allant, l’esprit combatif, la verve et la modernité d’une auteure qui m’avait fait grande impression dix ans auparavant. L’intérêt de cette pièce était d’autant plus grand que « Un enfant » avait été mis en scène par l'auteure en 1969 déjà à l'Ambassade du Cameroun en Guinée Equatoriale, à l'occasion de la fête des mères.

J'aimerais voir sur scène une des pièces de Madame Marie Charlotte Mbarga que je n’ai pas lues pour que le plaisir de la découverte soit tout neuf, mais ce que je souhaiterais surtout, c’est que ces pièces soient publiées sous la forme de fascicules, à portée de toutes les bourses, au Cameroun et dans le reste du monde, afin qu’elles puissent être lues par certains, jouées par d’autres et appréciées de tous.

Il y a quelques années, j’avais fait des recherches sur les personnages littéraires et sur la manière de les visualiser. Une classe d’étudiants camerounais avait d’ailleurs participé à ce projet et il était clairement ressorti de ces travaux que tous les lecteurs, même s’ils ont le même texte sous les yeux, imaginent une histoire différente en fonction de leur bagage social, familial, culturel, etc. Le non-dit est en l’occurrence tout aussi important que ce qui est raconté car il augmente la liberté du lecteur et lui permet de combler les vides et les absences à sa guise. C’est un des avantages du texte lu sur le cinéma et sur la représentation théâtrale: lorsqu’on lit, on imagine les choses sans s’encombrer de détails superflus et on peut se permettre toutes les entorses possibles et imaginables sans que cela ne gène personne. Les lecteurs se mettent dans la peau des personnages sans s’en rendre compte et sans vraiment chercher à les représenter au delà de ce qui est nécessaire pour que l’histoire ait un sens. Ils se laissent entraîner dans l’action sans se préoccuper du reste. En ce qui me concerne, ce qui m’intéresse lorsque je lis – d’une manière générale, et les pièces de Mme Mbarga ne font pas exception – c’est de pouvoir faire abstraction de qui je suis pour m’immiscer dans un milieu qui me semble parfaitement familier alors qu’il m’est en réalité tout à fait étranger.

Jean-Marie Volet

 

Samuel Nkamgnia

Ecrivain et professeur honoraire à l’École Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication de Yaoundé (ESSTIC)


A
vant de rencontrer Marie-Charlotte Mbarga Kouma, je la connaissais déjà à travers les journaux et la radio. A l’époque, la télévision n’existait pas encore au Cameroun. C'est par l’intermédiaire du Professeur René Philombe, secrétaire Général de l’APEC (association des poètes et écrivains du Cameroun) que je l'ai rencontrée par la suite. J'ai été très vite impressionné par les qualités morales de cette grande dame des arts et de la culture qui deviendra, avec ses enfants et son époux, amie de ma famille.

Marie-Charlotte Mbarga a été la première femme Camerounaise lauréate d’un concours théâtral d’envergure internationale. C’était en 1973 avec sa pièce « La famille Africaine » sur laquelle nous reviendrons. En outre, elle est la première femme à avoir créé et dirigé dans les années 70 une troupe de théâtre sur le territoire national. Dans les diverses représentations que « Les étoiles de la capital » offraient, Marie-Charlotte Mbarga a impressionné le public Camerounais, habitué jusque-là à fréquenter les salles de cinéma. Par la suite elle a créé le groupe de danse « Mini Yakan », qui a eu le mérite de valoriser les danses traditionnelles du Cameroun. Incontestablement Marie-Charlotte Mbarga était une grande dame non seulement du théâtre africain, mais également des arts et de la culture. Elle a écrit une dizaine de pièces de théâtre. Je peux citer de mémoire, « La Famille africaine » et « Le Charlatan » que j’ai eu l’immense joie de voir sur scène à plusieurs reprises. Ainsi qu’ « Une fille dans la tourmente », « Un enfant », « Le mariage de ma cousine », « Les aventures de Passa », sans oublier « Belle-mère ». Je dois signaler également que Radio France Internationale (RFI), à travers la série d’émissions « Première Chance sur les ondes », a diffusé « Belle-mère » et « Le mariage de ma cousine ».

Avec « La Famille Africaine », Marie-Charlotte a remporté le premier prix du concours organisé dans le cadre de cette même émission. « La famille africaine » a été adapté à la CRTV par le metteur en scène Nkono Ateba pour l’émission « Soir au théâtre ». Pour toutes ces raisons, je lui voue une grande admiration. Si je devais recommander deux pièces de Marie-Charlotte Mbarga, je choisirais tout d'abord « La Famille Africaine » parce qu’elle traite d’un sujet sans frontière. En effet dans presque tous les milieux humains, les relations entre brus et belle-mère sont souvent conflictuelles! Ensuite « Un Enfant » qui relate le drame d’un couple riche mais sans progéniture. Ce thème universel est abordé dans cette pièce de manière poignante et marque les personnes sensibles dont je fais partie.

Marie-Charlotte Mbarga mérite de très solennels hommages. De par la densité de son œuvre, la qualité de ses pièces et l’importance des thèmes souvent universels qu'elle a abordés, son oeuvre mérite d’être connue pour la postérité. En guise de modeste contribution, j’ai dédié à la mémoire de cette grande dame un poème intitulé « La perfection ». Certes, la perfection n’est pas de ce monde, mais puisque Marie-Charlotte n’est plus de ce monde, je maintiens ce titre et le texte de ce poème.

Samuel Nkamnia

 

 

Lapinot Moubitang, comédien

J'ai eu de la chance dès la création de la troupe de théâtre, « Les Étoiles de la Capitale » de faire partie des comédiens de Marie-Charlotte Mbarga. La troupe de théâtre a pris son envol avec de multiples représentations à travers les principales scènes de Yaoundé et des environs, dans un paysage culturel où l'on retrouvait des grands noms du théâtre Camerounais tels que Lucien Mamba, Raymond Ekossono, Protais Asseng, Jean-Baptiste Obama, Pierre Makon, et bien d'autres. J’ai eu le privilège de jouer dans Les Etoiles de la Capitale, mais également d’en être le régisseur lors de certaines de nos représentations.

L'œuvre de Marie-Charlotte Mbarga est prolifique et je ne pourrai en parler de façon exhaustive tant elle a illuminé le monde artistique et culturel de son immense talent. Marie-Charlotte Mbarga avait un don spécifique : sans avoir fait d’études spécialisées, elle écrivait ses pièces en s’inspirant de situations de la vie du terroir africain, avec un réalisme époustouflant! Parce qu'elle aimait ce qu'elle faisait, et parce qu'elle était intelligente, attentive et dotée d'une grande ouverture d'esprit, les idées lui venaient au cours des représentations de ses pièces ou celles d’autres dramaturges auxquelles elle assistait régulièrement. Perfectionniste jusqu’aux bouts des doigts, ses pièces n’étaient jamais entièrement finies tant qu'elle considérait que le rendu n’était pas parfait. Au fil des représentations, elle apportait à ses oeuvres des modifications et des retouches pour améliorer leur intrigue. Elle n’était pas du genre fermée qui sait tout et qui n’a besoin de personne, bien au contraire!

Marie-Charlotte Mbarga était également un metteur en scène d’exception ! Elle dirigeait ses acteurs de manière soft; toujours avec le sourire et des encouragements. Même quand les choses n'étaient pas bien faites, elle s'en émerveillait toujours. Patiente, compréhensive et maternelle avec ses comédiens, elle était méticuleuse et tatillonne sur les détails des costumes, du maquillage et des décors. Courageuse et tenace pour l'obtention des autorisations officielles. Elle débordait tellement de dynamisme qu’en plus de son travail de dramaturge, elle a créé dans la foulée des Etoiles de la Capitales, le groupe de danse Mini Yakan, magnifique clin d’œil à son village natal qu'elle aimait tant! Sous sa houlette de chorégraphe, ce groupe composé de d'enfants talentueux, animait non seulement les entractes de ses pièces de théâtre, mais également fêtes et cérémonies officielles.

Mère de famille affectueuse et attentionnée, pas uniquement pour ses enfants, mais également pour les nombreux autres enfants qu'elle adoptait et considérait comme les siens, Marie-Charlotte Mbarga était une femme discrète, profondément généreuse et respectueuse des autres. C'était une mère douce et attentive qui avait un sens aigu de la famille et mettait la famille au centre de tout! Son talent lui a valu plusieurs prix internationaux. Je n'oublierai jamais son sourire, sa voix douce, sa noblesse de coeur et la générosité qui la caractérisaient. Je suis sûr qu'avec ceux qui l'ont précédée, elle anime désormais les soirées culturelles du paradis des artistes.

Lapinot Moubitang


 

Etienne Alsamia, comédien




C
'est un réel plaisir pour moi de prendre part à l'hommage rendu à Marie- Charlotte Mbarga. C’est l'occasion pour moi d’approcher encore plus l’œuvre artistique africaine et par là même mes racines enfouies profondément dans la terre. Faire partie de ce voyage en tant que comédien est pour moi un réel cadeau qui m’est offert en termes de rencontre, de partage et d’enrichissement. Je suis vraiment fier d’en être. Je remercie sincèrement les enfants de Marie-Charlotte Mbarga de me l’avoir proposé.

En ce qui concerne les rôles que je vais interprêter, dans « Les Insatiables », le personnage de Bala incarne un bourgeois qui, bien que très attaché à sa culture africaine est fier de mettre en avant son petit côté petit-bourgeois occidentalisé. Dans « Un Enfant », le personnage de Kameni pourrait être le même petit bourgeois que Bala dans « Les Insatiables » sauf que cette fois, il est tellement fier d’avoir un fils qu’il ne s’aperçoit pas qu’il est en train de se faire duper et que cet enfant n’est pas de lui. « Les Aventures de Passa » traite de l’homophobie et donc d’une certaine exclusion.  Le sujet est assez sérieux!

Il est certain que pour « Un enfant » et « Les Insatiables », il y a du vaudeville dans l’air. Les personnages de ces deux pièces imposent par leurs côtés légers et moqueurs un aspect vaudeville qu’il serait assez plaisant de respecter.

Etienne Alsamia

 

 

 

 

Mata Gabin, comédienne



L
es pièces de Marie-Charlotte Mbarga sont d’une écriture lumineuse et simple qui parlent de sujets qui me touchent! J’aime les écrits organiques, on sent que tout vient du cœur…

En ce qui concerne le personnage de Mapa, dans « Un Enfant », j’aime sa lucidité, sa douceur et sa franchise. C’est une femme courageuse et le courage est la meilleure réponse à mon sens, à la difficulté de la vie.

Le personnage d’Hélène, dans « Les Insatiables », je le trouve intéressant parce que son caractère est si étonnant que je me demande comment aborder le jeu et c’est une sorte de challenge pour moi. Les acteurs aiment bien les défis! Mais de façon générale j’aime l’écriture et les situations décrites, alors tout cela aiguise mon envie. Et quand j’ai le plaisir du travail en ligne de mire, cela me donne une très bonne énergie…

Mata Gabin

 
     
  Jean-Marie Volet  
  Samuel Nkamgnia  
  Lapinot Moubitang  
  Etienne Alsamia  
  Mata Gabin